Témoignage : Le Loup et la Nuit solitaire

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Monique Houssin

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Mon témoignage n’en est pas un. Je ne peux écrire sur Christian, rencontré lorsqu’il était journaliste, de tous les combats, de toutes les joies, de toutes les révoltes. Je choisis de le faire vivre ici, à travers des textes qu’il m’avait remis en cadeau.

Voici donc « Le loup » et « La nuit solitaire ».

A vous, ses amies et amis, ses proches, ses partisans, ses lecteurs et lectrices, et tous ceux et celles qui le découvriront, j’offre ce texte, un petit conte où se ressent déjà l’écho avant-coureur du choix qu’il fit de disparaître.

C’était il y a trente ans. 

Le loup

Le loup se surprit à toucher la neige, du bout de la gueule, mettant un feu dans la glace, pour arrêter l’un par l’autre. Deux lapins, roux, se figèrent à toute proximité, sidérés par la perspective d’un meurtre sanglant dont ils seraient les impressionnantes victimes.

Le loup, en son geste abandonné, ne percerait rien. La lune, pleine, tremblait elle aussi, soupçonnant dans cette basse humilité de la bête, une épouvantation à venir. Un arbre, blanc de neige, recroquevilla, invisiblement, ses racines sombres qui fuyaient la scène, aussi loin que cela paraissait possible.

Oui, aussi loin.

Le loup, la gueule éteinte, releva la tête, sentit les lapins, fixa la lune, arrêta l’arbre fuyant et, le poitrail logement à l’horizon, lova toute la nuit avoisinante dans la chaude terreur de son hurlement. Les yeux de braise se cachaient derrière ses paupières baissées ; il poussa un cri, le regard absent.

Puis enfin, il scruta la vie et le printemps fut, emplissant ses poumons d’un appel nouveau et celui- là rappela le tendre roucoulement des colombes et l’une d’elles vint se poser, ici, sous son museau.

Le loup la happa, la croqua et l’avala.

« Je ne serai plus jamais la neige » murmura l’écrivain. 

 

C .Riochet. Saint Ouen. II.VII.97

La nuit solitaire

Le vent courait si souvent au bout de la lande que l’homme ne tenait plus compte des incessants remous des nuages qui habitaient les souvenirs évoqués, revenant lui faire croire qu’elle touchait à ses plus intimes pensées, en avançant dans les souvenirs, armée de ses cheveux lâchés et pourtant si exactement définis par le vent. En soutenant l’horizon avec cette texture de couleurs qui habitent le soir et fait que la nuit sera là, tout bientôt.

Lui, seul, voyait.

Vision d’intimité que les notes précises égrenées des mots dits par elle à lui, revivaient.

Alors, avec cette perspective de solitude répandue devant lui, il se coucha comme une bête vaincue par la peur et flanc à flanc avec la nuit, il hurla silencieusement, longuement, de telle façon que cette douleur, laide mais muette, lui parvienne à elle et s’enroule à son cou comme un collet.

Il tira, sèchement.

Elle suffoqua.

Puis il refit cent, mil, dix fois, le parcours de sa douloureuse pensée solitaire qui le conduisait à elle et cent, mil, dix fois, il vécut le tort de son absence à elle, le tort qu’il touchait du doigt, ensanglanté.

Le tort qu’il avait.

Car il avait tort.

La nuit solitaire suffit à l’assommer et son cadavre fut au matin reconstitué par de longs musiciens diaboliques, constructeurs de sentiments déniés et payés par des municipalités progressistes, italiennes et d’un siècle reculé.

« Vois ma lèvre, disait un billet trouvé en ses chaussures, elle rêve de toi ».

 

Le 4.VII  1987. Saint  Ouen, Riochet.

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