25ème Variation • Le corps-shaman

Le corps-shaman se cache (si l’on ose dire) derrière le corps de Klung.

Klung (nom inventé par mes soins, une nuit d’Eurêka que Proust ne vécut jamais, se couchant trop tôt et trop souvent le matin, ayant du temps à perdre à rechercher le temps perdu, pauvre garçon), Klung disais-je, est inventé de toutes pièces, désigne le Shaman lui-même. Le corps-shaman permet l’autre vision de la paupière-écran. Ce mécanisme de perception surdétermine le corps-civilisation. Cette surdétermination est rejetée par la culture occidentale capitaliste, à de rares exceptions près.

Le corps-shaman conditionne pourtant toute la civilisation du corps.

Qu’est-ce que le shamanisme, du point de vue, strict, du corps-civilisation ?  Un média. Le média du médium. Une médiane du média d’un médium. Une masse culturelle, un champ épistémologique épigénétique, surdéterminant le processus anthropologique.

La civilisation moderne, cette modernité veau d’or, supposée sauver l’humanité tout entière d’un destin à coups certains tragique ce pataquès amphigourique qui ravage le bon sens et la beauté des choses a voulu à toute force juguler le corps et ainsi le conduire à coup sûr à coups de fouet à un bonheur falsifié de toutes pièces.

Le corps-shaman est celui qui, avec le corps-mère, a le plus payé un lourd tribut qui n’en finit pas de rembourser les intérêts de la vie capitaliste.

Le corps-matière, le corps initial est shamanique. Il possède la capacité intrinsèque de suivre un chemin sur-sensoriel et non extra-sensoriel. Les corps humains savent communiquer d’eux-mêmes. Ce flux d’information est brut. Il demande à être interprété. Mais il n’en existe pas moins. Le corps-shaman, dans son principe originel, collectivise. C’est le lieu d’un soviet–suprême ontogénétique qui cherche sa philosophie, sa phylogenèse. Le shamanisme, c’est précisément la capacité des corps à communiquer par et dans un champ électrodynamique, dit « paranormal ». La normalité est géo-historique. Ce shamanisme intègre, incorpore les corps dans un processus d’accumulation intersubjectif de connaissances.

Ces connaissances sont à disposition de la séquence de civilisation, être–avoir–savoir–pouvoir, l’easp. Le shamanisme parcourt cette séquence sans cesse, dans la U-caverne. Au cours de ces transes de « voyages intérieurs », des pratiques de recueil de données donnent à tout à chacun des informations fonctionnelles capables d’aider à l’augmentation quotidienne. En particulier, la rencontre supérieure des plantes et des hommes, par ce shamanisme rendue possible, cette rencontre des plantes ouvre une pharmacie formidable.

Tout un chacun shaman sait devenir homme-médecine. Les plantes contribuent alors à aider à cette fameuse et si complexe nécessité de s’adapter à un monde en inadéquation avec l’homme. Stricto sensu le shaman n’est donc ni un sorcier, ni un magicien, ni même un original. Le corps-shaman est en chacun et chacun contribue à la dynamique communiste.

Les caractéristiques des plantes vont pourtant, peu à peu, livrer des informations troublantes. Certaines plantes en effet, démultipliant les capacités cognitives sur-sensorielles.

Le sur-sensoriel se mut en sensationnel, déroutant.

Le chemin shamanique des plantes est semé d’embûches susceptibles de faire tomber vers le haut : les stupéfiants. Les plantes stupéfiantes transgressent les codes biogénétiques et proposent une autre approche de la matière. Le surnaturel guette au trou  de ces dérèglements réglementés de tous les sens, pouvait-on croire, à force que de suivre cet idiot de Rinbo.

Mais que cache le corps-shaman dans la U‑caverne ?

De l’aide.

De l’aide écologique et poétique.

Le corps-shaman demande son chemin à la nature naturalisante, pour se naturaliser, pour se faire naturaliser, vu qu’il y a inadaptation flagrante. Le flagrant délit d’inadaptation peut être pris par les plantes. Les plantes apparaissent alors comme l’intermédiaire de sauvegarde. Les plantes proposent une solution. Elles institutionnalisent le lien biogénétique intersubjectif.

Le corps-shaman va à une objectivisation de ce savoir intersubjectif diffus. Ce tâtonnement expérimental fait inévitablement des dégâts. Les variables d’ajustement du corps à son environnement, donc à lui-même, ne s’identifient en effet qu’a posteriori. L’accumulation des connaissances au moins botaniques devient peu à peu un manuel de posologie. La mémoire tend aussi à s’individualiser, puisque les risques d’y laisser la peau existent. Le corps est l’esprit, sauf lorsque la mort accidentelle shamanique interrompt le processus vital, accéléré, augmenté par des drogues.

Le shaman se détache du collectif, singularisé par sa connaissance certes (par sa mémoire) mais surtout par son aptitude à ne pas y laisser sa peau.

Un quatrième univers vivable s’ouvre, après celui de l’environnement, après celui du collectif, après celui de la paupière-écran. C’est l’univers, le multivers des expériences shamaniques.

Quatre mondes se superposent, s’interpénètrent, s’intersubjectivisent, se combinent et ce complémentarisent. Aucun ne subsume aucun autre. La masse chaotique des données informatives n’apparaît jamais comme chaotique. Elle est, voilà tout.

Une hiérarchie des urgences va surgir avec le corps-bébé, qui va devenir le corps du bébé qu’il faut identifier, protéger et éduquer.

Le corps-shaman, c’est en effet d’abord celui du nouveau-né.

L’émotion, mouvement interne-externe, devient variable sentimentale d’ajustement. La transe émotionnelle structure le savoir acquis et la sensible sentimentalité en redonne le compte rendu.

La démesure surgit alors comme voie de passage du mensonge invérifiable. Mentir, c’est faire passer pour vrai ce que l’on sait être faux. La matière ment pour l’idéalisme. Le matérialisme cherche les variables d’ajustement fonctionnel parce que l’émotion se mut en sentiment, c’est dire le dit en réalité revendiquée.

Dans ce mouvement d’aller-retour entre émotions et sentiments, un savoir se cristallise. Ce savoir du shaman s’institutionnalise. Mais l’émotion dit bien le mouvement endogamique-exogamique de la connaissance du premier degré, comme la qualifiait Spinoza. Il faut l’interpréter et accepter ce ressenti, ce senti redit. Cette acceptation implique un acte de confiance et donc un abus de confiance possible.

En somme il faut accepter pour argent intersubjectif content ce que le shaman rapporte de ses voyages initiatiques.

C’est ici que le corps-shaman et le corps-rêveur, le corps onirique se confondent.

Le corps-onirique est, lui aussi, une porte d’entrée sur un autre univers d’informations initiales.

Le corps-shaman est un corps-rêveur onirique. L’état de veille du corps est déplacé en dehors du champ de perception coutumier, ordinaire. Les références sont déplacées, mesurées par un autre étalon, mesure d’un étalonnage différencié par des adjuvants.

Le shaman drogue son corps pour le pousser à des activités extra-ordinaires. Or c’est ordinaire transgressé n’est pas vécu comme extra-ordinaire pour autant que la collectivité du premier communisme en fonctionnalise immédiatement les acquis.

Dès qu’il y a mémorisation, constitution d’un savoir recensé, seule l’expérimentation peut sanctifier ces acquis.

Une structure mentaliste intersubjective ordonne alors le relationnel. Cette structuration basée sur un acte de confiance a priori incontournable au demeurant, va peu à peu exacerber la double bipolarité. La performance objectivée par la pratique devient un critère de valorisation. Les variables d’ajustement du corps au corps, du corps à son environnement, ces variables d’ajustement se socialisent dans ces expérimentations pratiques.

Une hiérarchie thérapeutique se constitue, par le fait.

Tous les moyens d’information sont maintenant recensés et en place. L’édifice des connaissances repose tout entièrement sur l’expérience des corps. Le savoir est une incorporation constante. L’être commence à avoir. Le premier avoir de l’être, corporel, sensoriel, émotionnel, sentimental, ne sait qu’être matérialiste.

Personne encore ne se fait des idées. Personne encore n’a encore aucune idée en tête. Tout est de logique du concret.

La bombe épistémologique explose avec le bébé revendiqué, avec donc la revendication de paternité. Cette revendication est le résultat d’une accumulation primitive des connaissances. Primitives au sens de premières. Or le shaman est supposé pouvoir mettre à jour les liens de parenté. Son silence à ce sujet est déjà politique.

La revendication de paternité faite, le shaman ne peut qu’entériner la chose.

La pratique sexuelle vient de contester la qualité des variables d’ajustement du mode de production écologique et poétique. La poétique s’en trouve contestée par la naissance idéologique du politique. La structure sociale vécue trouve cette information d’elle-même. Le shaman ne sait que suivre cette identification. La contradiction va faire naître le rationalisme, un anticorps anthropologique.

La mort du corps-shaman approche.

La perte de pouvoir shaman tient à la revendication de paternité. Si le shaman ne le savait pas, c’est qu’il usurpait son pouvoir. S’il savait, c’est qu’il abusait de ce pouvoir. Dans les deux cas, sa défaillance ébranle les acquis intersubjectifs. Cet ébranlement laisse place à l’apparition de la subjectivité et donc au subjectivisme, forme sanctuarisée de ce coup d’état ontologique. La subjectivité extorque au capital intersubjectif une part de valeurs. Ces valeurs deviennent alors des plus-values individualistes. Le corps singularisé s’oppose donc au corps collectif, au corps tribal. Le shaman se trouve du coup sinon marginalisé du moins soumis à une mesure des acquis du corps-rêveur. Le corps-rêveur commet des erreurs d’interprétation des informations recueillies au cours des voyages intérieurs. La complexité qui se met en place pose des difficultés de compréhension et d’appropriation nouvelles.

Le « rien n’est acquis à l’homme » plombe le mode de production écologique et poétique. Le monde du politique offre dorénavant les salons feutrés au combat déchirant des variables crédibles d’ajustement.

Tout devient politique d’ajustement.

L’autorité fédératrice du communisme tribal vacille. La combinatoire est, il faut bien l’admettre, d’une complexité effarante.

Cinq univers, multivers, se superposent constamment. Le corps initial, tribal, écologique de la paupière-écran et enfin le corps-rêveur, donc shamanique, s’ajoutent sans cesse, équilibre constamment déséquilibré par une évolution à la fois biogénétique et sociale.

Le corps initial est devenu une propriété subjective. L’ajustement du corps en premier lieu à lui-même, suit la progression physiologique. Le programme initial de développement, l’ADN, conduit à cette première bipolarité. L’homme n’est plus le corps initial inné, mais un corps approprié par et dans l’effet même de son développement. L’homme ne vit jamais dans le même corps de même et qu’il ne se baigne jamais dans le même fleuve, comme disait Héraclite-L’obscur. Le corps est un fleuve pour l’homme et tout en même temps une embarcation. Cette embarcation est construite avec le bois de son arbre généalogique. Cette logique de la genèse, de la génération le porte en premier lieu à la prise en considération de la singularité banale.

Ce premier corps intégral, intégralement à disposition d’une énergie contrôlée, ne se vit que comme corps tribal, intégralement collectif. L’opposition privé-public demeure sur le mode mineur. Un corps esseulé réduit considérablement ses chances de survie. Ce corps initial tribal est aussi en même temps, en même lieu, en une unité géo-historique, corps écologique. L’univers environnemental complexifie. Les corps animal, végétal, gazeux, solide, liquide, lumineux, sombre, coloré, sonore, visible, invisible, goûteux, palpable, ce multicorps cherche une unité et une dynamique. Le corps humain n’est qu’un élément du tout qui va son procès de développement, processus de croissance biogénétique. Le traitement de ce foisonnement d’informations qu’est la vie réclame des forces d’interprétation d’intégration colossales et constantes. L’énergie pour consommer l’énergie ne s’équilibre qu’occasionnellement, brièvement. La vigilance interdit le sommeil du corps. La paupière-écran, dès les yeux fermés, affiche la rédaction du code ontogénétique. Les neurones activent un moteur de recherche de signification des variables d’ajustement. Le corps-rêveur, donc shamanique, vient dans ces conditions proposées des solutions venues de l’Invisible Ailleurs Invisible. Celui qui sait pratiquer ce voyage immobile se voit du coup investi d’un pouvoir politique. Son corps initial, privé-public, écologique, se fait corps intermédiaire, soudure vivifiante d’un mobile complexe et fragile. Un individu vient en aide à la collectivité. Le shaman se trouve être de facto lieu de naissance du conflit communisme-capitalisme. Il met au monde son décret d’interdiction d’être. Le shaman ne peut que disparaître sous sa forme première. Parti poète-rêveur, il revient politicien fonctionnaire.

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