Témoignage : Qu’il aille se faire pendre ailleurs !

Et bien non. Christian a décidé d'aller se faire pendre ici.
Cloué à la poutre d'un mur porteur du lieu insalubre en décombres dans lequel il survivait.

Le monde à dos. Le monde pesant sur son dos. Tout a été essayé par Christian pour s'attaquer à ce monde-là. Y compris la méchanceté, l'aigreur, la haine et même la paranoïa. Tout a été sacrifié aussi, à commencer par la mise en acte systématique d'une intersubjectivité de combat. Une intersubjectivité désespérée, en général et en particulier, qui a laissé sur le carreau sa famille toute entière (sauf une exception), la presque totalité de ses voisins et la plupart des amis. 

Quant à l'administration ? une petite armée de snipers qui a tiré à vue sur cette cible aveugle rouge et jaune, vociférante, agitée, gardée d'animaux salissants et merdeux. Les snipers lourdauds du système administratif, de loin, du plus loin possible, se bouchant le nez malgré la distance, ont envoyé des lettres qui, on sait bien pourquoi, ne pouvait être lues. Mais aussi des avis, des commandements qui ne pouvaient pas être suivis, des injonctions couvertes du miel habituel propre aux intentions toujours bonnes de la loi, un miel à destination des ours mal-léchés. Les responsables sociaux, responsables médicaux, responsables élus...? Une belle bande de responsables officiellement irresponsables, une belle bande de... "Chasse d'eau!"

 

Le ci-devant ours mal-léché Christian pouvait être 'très' sympa, 'très' charmeur, 'très' attentif, 'très' drôle, etc., etc. C'était aussi – parfois/souvent – un sacré con, prétentieux et 'très' brutal.

C'était surtout– je crois – un être souffrant.

(Il était peut-être rien de tout cela : qu'est-ce que j'en sais après tout?)

J'insiste quand même :  beaucoup et surtout de la souffrance. Une souffrance globale, c'était, comme on dit, la 'totale' : enfance, handicap, solitude, isolement, incompréhension et avec encore et encore ce monde autour, ce monde sur son dos, pesant comme la plus lourde des mauvaises consciences.

Ses convictions obsessionnelles l'ont obligé à travailler comme un nègre, un esclave petit bourgeois qui (phénomène courant, banal) s'en voulait de ne pas être prolétaire de souche. Toute sa vie, chaque jour, tout le temps à chaque minute (je n'exagère pas), écrire des textes, des lettres, des essais, des pièces de théâtre, des poèmes, tout le temps, des poèmes, des poèmes, des poèmes et avec leurs dessins, leurs aquarelles, leurs découpages, leurs montages... Du matin au soir, pendant plus de 60 ans non stop. Et presque dans chacun de ses textes, une allusion au suicide. Depuis toujours.

Le tunnel profond qui s'est ainsi creusé ne réglait rien, n'allégeait rien de ce poids. Tout ce travail, cette accumulation cognitive, n'a fait qu'ajouter de l'insupportable à l'insupportable déjà-là.

Une taupe prisonnière des galeries de son propre tunnel. Un tunnel sans bout. C'est ça, le petit chemin du suicide.

Il a été mis à genoux, a du s'avouer vaincu et n'a supporté cette soumission – toute nouvelle pour lui – que quelques jours à peine.

Si un animal comme Christian a finalement 'craqué', à la dernière minute, sous une pluie insistante de coups légaux, s'il a été, in extremis, apprivoisé par le cirque général, on peut se dire que, pour tous les autres, ceux qui restent, ceux qui tergiversent, nous tous..., c'est vraiment pas gagné.

Corrigeons un peu grâce au concept.

Christian a indéniablement fait des trouvailles. Il a mis le doigt sur de vrais bugs idéologiques, conceptuels, anthropologiques, sur des trucs à ne pas négliger. Son approche 'mapiste' (M pour 'Matérialisme', A pour 'Anarchisme', P pour 'Poésie') constitue à la fois une de ces trouvailles et la matrice qui en a enfanté de nouvelles, et des sérieuses. On verra immédiatement que ces trouvailles ne sont pas 'raccord' avec celles forgées par l'hubris fameux de son "ami" Michel Clouscard, ni à celles, clamées, par le griot virtuose Dominique Pagani. Pas facile d'imaginer une contingence pratique capable "de réunir ce qui est séparé, de recomposer ce qui est détruit", autrement dit, capable de faire quelque chose, quelque part avec ces trois-là, les trois doigts de la main fantôme de l'école de corse.

 

Oui, bon nombre des trouvailles de Christian tiennent la route.

Quelques oreilles ont bien été contaminées.

 

Mais maintenant, qu'est ce que l'on va bien pouvoir en faire ?

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Adieu Christian.

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