III / L’ÉPISTÉMOLOGIE DU CODE :
LA NÉGATION DE L’ÊTRE
PAR LE PROCÈS DE PRODUCTION

1 - La méthode historique

La méthode se définit à trois niveaux et selon trois propositions.

Première proposition :

Le sujet de la connaissance est une résultat historique, résultat de la démarche historique, conditionné par elle.

Deuxième proposition :

Le sujet transcendantal est historiquement produit. Ceci ajoute à la première proposition que le sens du sujet est celui de la production, du procès de production.

Troisième proposition :

Le sujet de la connaissance est objet de la connaissance, comme résultat de deux moments historiques.

2 - Le modèle d’ensemble historique

La radicalisation réaliste proposée par la méthode historique conduit au modèle d’ensemble historique.

Le modèle d’ensemble historique est consécutif aux acquis épistémologiques obtenus par la polémique. Il sera la garantie scientifique de la démarche entreprise. Il vient donc avant cette démarche et la conditionne.  Mais on verra que ce constructivisme, cet a priori est lui-même consécutif de la réalité, du réel.

2.1 - L’armature logico-formelle

Chacun des termes de la proposition : « modèle d’ensemble historique » doit être défini conceptuellement. C’est une armature logico-formelle qui permettra un premier accès conceptuel.

Le concept de modèle se définit à deux niveaux.

Au niveau de la relation syntaxe-sémantique. La syntaxe est le système formel des règles de formation. La sémantique est le système des règles de correspondance avec le domaine historique.

A un deuxième niveau, le domaine syntaxique ne donne pas le domaine d’objets sémantiques. L’empirie atteinte par la correspondance n’est pas recensable.

2.2 - L’identification syntaxe-sémantique au matérialisme dialectique – matérialisme historique

Ce système formel sera constitutif du modèle historique car :

- la relation syntaxe-sémantique est identifiée à la relation matérialisme dialectique – matérialisme historique. Le matérialisme dialectique est une science suffisamment élaborée pour concéder un stock de signes non recensables. Le matérialisme historique autorise l’étude d’un champ historique, la correspondance.

- La structure et la théorie des ensembles sont identiques. Ce dernier point est la conséquence du premier.

2.3 - Le transfert dans l’histoire

Une règle fondamentale de formation sera dégagée du modèle formel. On admettra qu’à toute circonstance individuelle formelle correspondra un objet de la structure, d’une part, et qu’à toute constante prédicative correspondra un sous-ensemble de la structure, d’autre part.

Cette règle fondamentale de formation sera transférée au modèle historique. Ce transfert est habilité par le caractère scientifique des deux disciplines, logique et histoire.

Ainsi, la syntaxe du matérialisme dialectique se construit selon la syntaxe du concept de ce modèle. On admettra trois niveaux :

Niveau A : niveau fixe des constances référentielles.

Niveau B : niveau des propriétés des constantes.

Niveau C : niveau des variables individuelles.

Le niveau A développe le niveau B qui développe le niveau C.

2.4 - Le transfert dans l’économico-historique

Par analogie on pourra dire : l’économique est principe générateur du juridico-politique, lequel développe les formes de la conscience sociale.

Cette syntaxe s’applique ainsi au mode de production.

2.5 - Le système des médiations

La mise en relation dans l’ensemble historique des trois niveaux A, B et C suppose un système de médiations. Le système de médiations est l’Etat et est assimilable à la causalité structurale (voir « analytique »).

Le modèle d’ensemble historique a donc été formé à trois niveaux : logico-formel, historico-économique et au niveau du médiateur-Etat.

La construction de ce modèle montre que le “procès de production d’un modèle historique est assimilable à la fonction de construction du concept de modèle”.

3 - L’épistémologie du code

La formation scientifique du modèle d’ensemble historique – dont nous venons de restituer le processus le plus simplifié, squelettique – donne accès à l’épistémologie du code.

Comme transgression des interdits épistémologiques bourgeois, “L’Être et le Code” est d’abord une nouvelle anthropologie.

Cette anthropologie reprend donc les problèmes du néokantisme, que le néokantisme ne veut pas résoudre, les problèmes du concret de classes. Le sujet de la connaissance est abordé radicalement, selon la vraie anthropologie qui fournit la révélation des raisons historiques. Sont reprises alors les conditions historiques du savoir, que le néokantisme, l’idéologie bourgeoise actuelle a pour fonction d’occulter. La coupure épistémologique autorise la recherche, la détermination des conditions qui ont amené et permis à la praxis de produire le statut du savoir. La praxis est un savoir, est la production d’un savoir. Le savoir de la praxis a été progressivement arraché de son étymologie, de sa matrice. Toute une infrastructure du superstructural a été instituée pour couper le producteur des bénéfices épistémologiques, scientifiques, qu’il autorisait. Les conditions matérielles de possibilité de la science, de la bourgeoisie sont fournies, élaborées, puis maintenues par l’ouvrier. Le discours culturel est articulé à la logique de la production. Il doit l’être. La polémique, puis la construction du modèle d’ensemble, ainsi que son transfert dans l’histoire, forment le tout d’une démarche scientifique justificatrice. Ainsi peut-on ensuite dire comment, historiquement, le sujet logique est produit. C’est là la première conséquence du blanc-seing scientifique que l’on a pu délivrer. Le réalisme logique devient alors le fondement de la scientificité de l’histoire concrète, donne accès à la problématique décisive de l’histoire : le surgissement du sujet de la connaissance. La vraie anthropologie dira cette compénétration de l’histoire, du savoir, et du sujet. Le sens de l’histoire donnera un avant et un après, un avant le savoir et le sujet, et un après ce moment décisif que la production originelle fera advenir, qui sera l’avènement du savoir de cette production, du savoir des forces productives et des rapports de production.

Ainsi le discours idéologique, en dévoilant – contraint et forcé – les lois de l’oubli qu’il a patiemment promulguées, montre la réalité qu’il cache. Le réalisme logique se substitue à l’idéalisme. L’épistémologie s’est produite comme champ de production. L’épistémologie du code dit comment la réalité est connue par l’intellect, comment la pensée peut connaître l’organique.

L’avènement scientifique – nous dirons dès maintenant : marxiste-léniniste – de cette anthropologie a trois effets, parmi d’autres, que nous voudrions privilégier.

Comme premier effet, c’est une approche nouvelle du problème du corps.

Le corps n’est qu’idéologie, le point d’appui sur lequel l’idéologie en général fonde son idéalisme subjectif le plus acharné. Le réalisme radical reconnaît explicitement la projection idéologique et en donne la lecture inverse, en révèle le non-dit. C’est le contre-modèle du corps qui est fourni. Son premier effet est à privilégier, car il réduit considérablement la plate-forme stratégique de la réaction subjectiviste. Le corps a traditionnellement été ce sur quoi le subjectivisme s’est réalisé. Il autorisait en effet les plus grandes affabulations. Comme substance, il était relégué dans le monde incontrôlable du nouménal. Comme acte, praxis, il était soumis absolument à l’idéologie du signe. Dans ce cas, ou bien il était identifié au sexe ou bien il disparaissait comme ineffable, insaisissable, ce qu’il fallait réduire, et briser tant la spontanéité originelle troublait le sens du pratique – catholicisme ou psychanalyse. Le réalisme radical rappelle l’étymologie du procès de production, la substance originelle, l’être premier. Le corps produit le premier moyen de production, et il est produit du moyen de production. Il est l’ambivalence de fait que l’histoire devait aborder. Le corps est partie intégrante du procès, du devenir. Son avènement est historique et le parcours de sa disparition, de son occultation, est intimement lié au parcours et à l’occultation de la lutte des classes. Sa réhabilitation, son surgissement objectif sera le symptôme effectif du surgissement de la société sans classe.

Comme deuxième effet, c’est l’exploitation systématique de toutes informations scientifiques susceptibles d’aider l’anthropologie. C’est la tentative d’actualisation de la pluridisciplinarité. Elle est la réponse marxiste-léniniste à la tactique du parcellaire dont l’idéologie bourgeoise s’est faite l’utilisatrice. Elle permet un regroupement des disciplines éparpillées, ce qui en réduisait la portée et l’efficacité. Elle redonne une vigueur nouvelle en élargissant le champ du connaître, en brisant les bornes installées par la rationalité néo-kantienne. La pluridisciplinarité marxiste-léniniste ne craindra pas d’interroger toutes sciences élaborées qui sauraient lui fournir les résultats authentiques de ses opérations.

Le troisième effet est interne au développement conceptuel de “L’Être et le Code”. Le devenir du concret, le procès de production, le sens de l’histoire demandait un langage logique. Toute expression de ce langage du concret s’insère de lui-même dans une armature logico-formelle, effet second de la réalité. Le langage du concret se produit selon un plan logique parce que le concret développe lui aussi le plan logique de ses déterminations. Aussi revenons rapidement sur le plan du livre lui-même. Il est formé de trois parties : la structure féodale, c’est-à-dire le commencement économique de l’ensemble historique étudié, en est la première partie. Puis c ‘est l’étude du corps, des moments du sujet, de la genèse de la subjectivité. Enfin c’est l’exposé de la logique du superstructural, la réconciliation des contradictions, l’avènement de la culture bourgeoise. On peut dire que le Livre I a comme suite le Livre III; Livre III qui ne donne que les effets dans la structure pré-capitaliste du dynamisme embryonnaire du capitalisme. Le livre II – étude du corps et du sujet – pourrait donc trouver sa place après le Livre III, car il est en fait le compte-rendu exhaustif du passage de la substance à l’individualité. Mais ce livre II expose aussi la continuité des conduites subjectives et des conduites macro-sociales. Or le livre I peut être interprété comme l’étude globale de l’avènement de l’individualité étymologique – correspondant à la production des cellules originelles et à la culture qu’elle autorisait, le chevaleresque dans le macro-social, c’est-à-dire dans une économie structurée, dans laquelle les comportements de groupes et de strates vont être déterminants. Le Livre II sera contemporain du Livre I et non sa suite. Le Livre III de même, car alors le Livre II sera le trait d’union entre le Livre I et le livre III. Le plan devrait être vertical. Dans ce dernier cas, si la lecture était possible, on aurait la vue d’ensemble la plus déterminante. En poursuivant notre reconstruction logique du plan, on pourrait exagérer la logique en admettant que le Livre II soit avant le Livre I.

On aurait :

- Livre I, II, III

- Livre I, III, II

- Livre II, I, III et Livre (III II I)

 

Quelque soit l’un des quatre plans possibles, on retrouvera une implication logique qui renverra dialectiquement à chacune des parties. De plus, chacun de ces quatre plans peut renvoyer à un autre plan, dont il en sera soit la complémentarité, soit l’exclusion, soit la synthèse. Enfin, chacun des chapitres de chacun des livres peut renvoyer à son correspondant dans les deux autres livres. On remarquera que le Livre II ne peut se trouver après le Livre III, et que le livre III ne peut non plus se trouver avant le Livre I. C’est que l’économique est déterminant en dernière instance. Donc le Livre I doit toujours, de toute façon, se trouver avant ou « pendant » les Livres II et III.

Aussi pourrait-on admettre une correspondance logique interne à “L’Être et le Code” qui trouverait sûrement un enrichissement dans un exposé systématique sur la base de la théorie des ensembles.

Comme avènement d’un langage logique du concret logique, le réalisme radical voudrait dépasser l’empirisime de l’épistémologie bourgeoise, restituer au marxisme-léninisme une technique qui appartient au producteur : la logique. Alors le réalisme radical serait la tentative ambitieuse de fournir au niveau du concept, au niveau philosophique, la réponse à la question : comment la logique de la production dépasse l’empirisme de la production ? Ainsi l’histoire aurait-elle été réécrite selon ce problème.

Comme transgression des interdits épistémologiques bourgeois, “L’Être et le Code” est aussi l’étude de la liberté comme production historique. Le réalisme radical s’efforce d’être la totale expression des rapports de classe. Pour ce faire, il reprend pas à pas l’origine infrastructurale de ces rapports. Il indique que seule la force productive, la praxis peut arracher l’homme de son étymologie. La praxis est une culture de la nature, est une nature culturée. La liberté est d’abord le dépassement dans et par la praxis des déterminations substantielles, du concret immédiat. Mais cette première liberté, embryonnaire, ne déclenche pas mécaniquement une liberté de la personne. La personne n’est pas encore. La conquête de la personne est une conquête historique, contre, partant de la nature, puis contre, partant de la société de classes. Le réalisme logique permet alors de montrer la production du statut de la liberté selon la lutte des classes. La liberté est une détermination, non l’absence de toute détermination. La liberté doit se déterminer, doit être restituée dans ses conditions matérielles de possibilités. Or, il n’y a de déterminable que de l’accompli, que du révolu. Le savoir de la liberté ne porte que sur le passé. C’est la fatalité de la science qu’est l’histoire. Le marxisme-léninisme rappelle donc que la stratégie du néo-libéralisme est de conduire à la confusion de la liberté comme détermination d’une société sans classe et à la pseudo liberté comme détermination socioculturelle de l’idéologie, pseudo liberté individualiste, conditionnel de la société de classes. Une société sans classe autorise une liberté déterminée. Une société de classe autorise une liberté conditionnelle.

Telle sera la problématique de “L’Être et le Code”: la genèse des déterminations de classes, l’étude de la liberté conditionnelle du savoir escamoté au producteur, de l’immanence du principe de plaisir à la classe dominante, de la localisation historique du corps. La systématique des rapports consommation-production sera l’objet de la théorie d’un ensemble pré-capitaliste. Cette théorie pose comme postulat la mutation interne des forces productives, le rapport être-code comme variable. « Et c’est justement cette mutation interne de l’ensemble étudié qui est notre problème ». “L’Être et le Code” ne sont que le double aspect de la réalité. Les rapports de l’être et du code doivent être vus selon la logique de la production. C’est la problématique révolutionnaire, marxiste-léniniste.

La dialectique de la mutation interne, la codification des passages de l’être au code, de l’infrastructural au superstructural, l’énoncé conceptuel du processus de l’histoire n’est que le problème épistémologique de l’intégration de la dynamique à la structure. La dynamique n’est accueillie par la structure qu’à condition d’intervenir dans le sens de l’histoire. La structure – comme structure de classe – a pour fonction de médiatiser, de codifier, de structurer. La problématique de “L’Être et le Code” définit les manifestations de l’intrusion de la dynamique dans la structure, du devenir dans l’acquis, du déterminé dans le conditionnel. Enfin, la dernière problématique est celle d’une société sans classe, l’espoir réaliste d’un ordre rationnel, qui rendra la production au consommateur et la consommation au producteur.

L’histoire est le fondement épistémologique de la logique.

La problématique de “L’Être et le Code” est sous-tendue par une problématique philosophique. A strictement parler, un problème d’histoire de la philosophie n’est l’objet ni du procès de production de l’ensemble pré-capitaliste, ni de notre travail.

Mais nous en exposerons malgré tout les grandes lignes, de façon à mieux comprendre la réponse à l’objection que nous pourrons faire à ce sujet dans la “critique”.

La méthode historique admet la contemporanéité logique de Kant, Hegel, Marx et Lénine. Le maxisme-léninisme est déjà acquis. Bornons-nous à la contemporanéité logique de Kant, Hegel et Marx.

L’histoire est le fondement épistémologique de la logique. Le réel est logique et le réalisme logique dit le réel. Si l’histoire est bien le fondement épistémologique de la logique, alors on peut revoir de façon révolutionnaire – pour l’histoire de la philosophie – les rapports de Kant, Marx et Hegel.

L’aboutissement du procès de production est le sujet logique. Le savoir produit par ce procès de l’ensemble pré-capitaliste est donc le sujet transcendantal kantien. Kant ne fait que systématiser l’acquis culturel de la bourgeoisie. Partant de cet acquis, de cette rationalité advenue, le kantisme sera doublement prolongé. Il sera prolongé par le néo-kantisme. Ce que nous avons vu. Mais il sera aussi prolongé par la raison dialectique, c’est-à-dire Hegel et Marx. De cet acquis commun, Hegel dira un mode de la raison dialectique : la réalité superstructurale. Marx dira un autre mode de la raison dialectique : la réalité infrastructurale, dont la superstructure n’est que l’expression. Hegel et Marx partent de Kant. Alors – et nous atteignons le point capital que nous retrouverons dans la “critique” - l’épistémologie du code est le “lieu de réconciliation de Marx et de Hegel”. Elle est la reprise du projet kantien de rationalité pour atteindre à cette réconciliation, qui, si elle est aboutie, marque l’avènement d’une nouvelle rationalité moderne.

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