1 - De Kant à Husserl :
le modèle de l’épistémologie bourgeoise

Le procès polémique intenté à l’actualité culturelle s’ouvre sur le cas de Husserl. Pourquoi Husserl ? C’est qu’il fonde toute l’épistémologie bourgeoise actuelle, le néo-kantisme.

1.1 - L’infléchissement

Husserl, comme néokantien, reprend Kant et l’infléchit tendancieusement.

Kant, en regard de la connaissance empirique qui le précédait, est révolutionnaire. La Critique de la Raison pure est l’avènement du sujet transcendantal dans l’épistémologie bourgeoise, elle est l’avènement de l’épistémologie bourgeoise. Placé dans le champ de l’expérience possible, le sujet peut atteindre au savoir du phénomène grâce à l’action conjuguée des formes a priori de la sensibilité, de l’entendement, et aux catégories de la raison. Hors de ce champ, l’intuition sensible ne peut atteindre la Chose en Soi, le Noumène. Le sujet transcendantal est inconnaissable, ne peut être connu. Husserl reprendra ce résultat et affirmera que le sujet transcendantal peut être objet du connaître. Ce coup de force peut paraître au contraire un dynamisme du savoir. L’épistémologie moderne s’y trompera.

Déjà Kant avait été poussé, entre la première et la seconde édition de la Critique de la Raison Pure, à radicaliser sa position. Il ira même jusqu’à écrire la fameuse note qui rappelle que le sujet transcendantal ne peut être connu car il n’existe pas d’intuition intellectuelle. Pour Kant, l’inviolabilité du Noumène est une garantie épistémologique. Car cette garantie est la certitude d’un continuum entre le savoir et l’existence, entre le réalisme empirique et l’idéalisme transcendantal.

Husserl mettra au point des techniques qui lui permettront d’opérer un hiatus.

1.2 - Les techniques opérationnelles

C’est selon quatre techniques que Husserl infléchira le réalisme kantien.

Il affirmera d’abord l’existence formelle du savoir, cet avoir du sujet qui par l’époché a pu être mis à l’abri du sensible. C’est le formalisme.

Il identifiera l’existence du savoir et le savoir de cet existant. La pensée renvoie au pensant et inversement. Le formalisme se creuse. C’est la tautologie. Mais le sujet transcendantal peut avoir une saisie immédiate de l’objet empirique, dans le concret. C’est sa liaison au monde, sa présence. La méthodologie empirique s’actualise.

Enfin, ce sensible, s’il est atteint, est totale privation d’intellect, pure spontanéité qui renvoie à elle-même, vécu diffus. Le sens du réel vient d’une transcendance, qui est le sujet lui-même.

C’est la donation de sens par l’antéprédicatif.

Telles sont les quatre techniques opérationnelles qui permettent à Husserl d’établir un hiatus entre le savoir et l’existence. Ces techniques sont autant de reprises tendancieuses du kantisme. Ainsi, le formalisme oublie que chez Kant tout le savoir est scientifique, rationnel, se recueille donc dans le champ du sensible. Un concept sans intuition est vide.

Ainsi, la tautologie oublie que le sujet transcendantal fonde son existence, les conditions de possibilité de sa présence au monde, sur l’expérience sensible. La pensée renvoyant à elle-même ne permet aucun savoir, aucune réalité concrète.

Ainsi, la méthodologie empirique oublie que la saisie du savoir, l’intuition, est sensible. De plus, cette sensibilité ne saurait se guider elle-même. Des intuitions sans concept sont aveugles. Enfin, la donation de sens par l’antéprédicatif oublie que Kant établit une distinction redoutable entre le sujet transcendant et le sujet transcendantal. Le sujet transcendant perd le sens du réel, voudrait réaliser un coup de force et détourner les intuitions sensibles vers le Noumène. Ce danger, dit Kant, est perpétuel, et l’entendement et la raison se doivent de surveiller cette illusion naturelle qui menace constamment.

Mais, pourrait-on dire, le néokantisme – qui est une mutilation du kantisme – est le résultat d’un dynamisme de la raison. Kant empêchait le progrès de la connaissance et Husserl ne fait que lui donner son aboutissement.

Les quatre opérations réalisées permettent déjà de douter. Mais la science fondée sur ces quatre opérations achève de convaincre.

1.3 - L’idéalisme subjectif, science du parcellaire

Ainsi apparaît l’idéalisme subjectif, transformation abusive du corpus kantien. Cette opération réactionnaire va fonder l’épistémologie bourgeoise actuelle et lui donner ses conditions de possibilités. Puisque maintenant le savoir pourra s’acquérir hors de la réalité, hors de l’existence, la science peut être exercée.

Mais l’épistémologie idéaliste ne se pose jamais comme telle. Elle ne pose jamais sa propre cohérence, elle ne propose jamais son modèle. Le modèle de l’épistémologie idéaliste doit être reconstruit. Partant, ce modèle reconstruit le non-dit de l’anthropologie bourgeoise. L’anthropologie bourgeoise ne dit pas son opération, la démarche abusive qui l’a fait naître et qu’elle fait naître.

La méthodologie empirique imposera une attaque tronquée, sectorielle, de la réalité. Le néokantisme, puisque empirisme intuitif, veut une science du parcellaire, un découpage restreint du réel. Ainsi la méthode employée et les résultats obtenus peuvent être hypostasiés.

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