L’axe philosophique est polémique. Il s’est tracé dans le combat critique. Il est circonstanciel, mais fondamental. Il débouche sur la volonté clairement exprimée d’atteindre au savoir scientifique par et dans le marxisme-léninisme. Michel Clouscard a dit ce qu’il n’était pas – c’est-à-dire néo-kantien – il faut maintenant qu’il démontre effectivement – par une étude précise – ce qu’il est. Il va entreprendre l’étude historique du surgissement des classes sociales en France. Pour ce faire, il lui faut construire son cadre de travail : c’est le modèle d’ensemble historique. Nous sommes dans le Livre I (Première partie : « la structure féodale ». Chapitre 1 : le modèle d’ensemble historique. Editions Mouton. Page 55 à 87). Difficile de lecture dans le texte, nous en tentons ici une schématisation explicative. Pour Clouscard, le procès historique en général est soumis à une logique : la logique de la production. Le procès de production se constitue historiquement comme un modèle, en modèle d’un ensemble.
La progression économique, politique, sociologique, scientifique est une progression logique, c’est-à-dire une progression d’où l’on peut tirer une axiomatisation. La totalité des significations des sens et des manifestations est non seulement recensable, mais encore formalisable. Le matérialisme historique sera le cadre des références. Le matérialisme dialectique, la syntaxe.
L’avantage méthodologique du modèle d’ensemble historique ainsi constitué par Michel Clouscard est évident : tout le réel est rationnel, tout le rationnel est réel. Le mode de production est l’expression historique de la logique de la production : « Alors la logique s’exprime selon la nécessité historique, comme l’histoire s’exprime selon la nécessité formelle. » (p. 60, Editons Mouton).
Ce n’est pas ici le lieu de revenir longuement sur le bien-fondé d’un modèle d’ensemble historique. En effet, plutôt que de nous acharner sur cette matrice, nous viendrons souligner un double effet de son élaboration. D’une part, comme nous le disions, Clouscard tente la réconciliation de Marx et de Hegel. Réconciliation, car il est vrai que depuis toujours, ces deux personnes ont été séparées. En identifiant la relation matérialisme historique–matérialisme dialectique à la relation syntaxe-sémantique, que fait Clouscard ? Il tente au fond de prendre chez Hegel, dans la Science de la Logique et dans la Phénoménologie de l’Esprit ce qu’il y a de déterminant, à savoir la dimension historico-logique. Hegel, lecteur de Kant, part de l’acquis kantien. Il admet le savoir rationnel du sujet transcendantal. Mais il refuse le nouménal. Comme Husserl. Comme le néo-kantisme. Mais il n’est pas néo-kantien pour autant. Car Hegel - et c’est ce qui le fait échapper à l’idéologie bourgeoise – propose une analyse historique. Il propose une genèse du sujet, il impose une étude historique de l’être, il suggère une analyse des déterminations sociales, il autorise l’avènement du léninisme. Et Lénine, dans les Cahiers sur la Dialectique, ne s’y est pas trompé. C’est le premier effet de la constitution du modèle d’ensemble historique : la tentative de réconciliation effective de Marx et de Hegel, à la lumière des résultats de la logique moderne (la théorie des ensembles) et du léninisme (la dialectique). Mais, il est vrai, ce premier effet – tel que nous le décrivons ici – reste formel. Nous n’avons donné que les potentialités. Le schéma existe. Il faut construire selon lui. Pour ce faire, Clouscard s’attache à l’étude de l’ensemble pré-capitaliste en France. C’est la suite du Livre I et le Livre III (Première partie : « La structure féodale ». Chapitre 2 et suivants et troisième partie : « la Logique du superstructural Du mythe au sujet de la connaissance ». Editons Mouton p. 87 à 237 et p. 389 à 589). Sur ce point, s’il faut en croire Leroy-Ladurie, Perroux, Desanti, Lefebvre, Sartre, Duvignaud, Lourau, Jankelevitch, Mandrou, Freund, Cornaert, Ferrier, Michel Clouscard est arrivé à un résultat qui mérite la plus grande attention. L’anthropologie des classes sociales, de leur constitution et de leur lutte a reçu là un apport décisif. Il appartient maintenant aux spécialistes de mettre ce résultat en position critique pour juger complètement des effets importants.
C’est le deuxième axe, l’axe scientifique.

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