C’est l’objet de l’introduction (Introduction : « De la critique de l’épistémologie bourgeoise à la raison dialectique » Editions Mouton, pages 1 à 55). Clouscard affirme : l’idéologie bourgeoise actuelle, capitaliste, est néo-kantienne. Elle se fonde sur la refonte idéaliste de la théorie de la connaissance de Kant, refonte dont Husserl est le responsable théorique. Kant est à l’origine de l’épistémologie. Dans la 2ème préface de la Critique de la Raison pure, il cherche – pour la première fois dans l’histoire de la philosophie – à mesurer les domaines d’activité des diverses disciplines existantes à son époque.
Kant y déclare que le champ de l’expérience possible borne le savoir et que, de ce fait, le sujet de la connaissance ne saurait être l’objet de la connaissance. Car il n’existe pas d’intuition intellectuelle. Le sujet transcendantal est né. Si ce sujet transcendantal borne la connaissance, il autorise pourtant la constitution d’un savoir objectif, l’avènement de la rationalité pour l’homme. Si l’opération kantienne reste idéaliste, elle est au moins critique. L’interdit nouménal est une garantie. Le nouménal impose à la raison le traitement exclusif d’informations concrètes. La métaphysique est dénoncée comme « voyage de plaisance ». La philosophie est dynamisée. Mais Husserl, lui, reprenant, rejette l’interdit nouménal, refonde la métaphysique, repousse l’acquis kantien, recule devant le plus rationnel que réclame la théorie de la connaissance phénoménale. Le sujet transcendantal redevient objet de connaissance. La métaphysique est encore possible. L’intuition intellectuelle – que Kant dénonce fermement dans la deuxième édition de la Critique de la Raison Pure – peut à nouveau s’exercer. L’individualisme subjectif est de nouveau alimenté. Ce grand courant philosophique idéaliste domine encore de nos jours.
Il existe deux oppositions à ce courant.
L’une est freudo-marxiste. Le freudo-marxisme veut, reprenant les résultats de la psychanalyse, relire le marxisme et réorienter la connaissance de l’être. C’est-à-dire que certains marxistes pensent pouvoir maintenir les prétentions néo-kantiennes de l’idéologie bourgeoise en appliquant au sujet transcendantal les notions du freudisme. Ainsi, l’inconscient, le subconscient, la libido, le refoulé, le non-dit, l’inénarrable, l’incommunicable, autant de termes pseudo-scientifiques qui cherchent à définir le nouménal. Freud fournirait ainsi le cadre de références à l’intérieur duquel l’étude des significations suffirait à fournir des connaissances inébranlables.
La deuxième opposition est toute autre. Elle est marxiste-léniniste. Michel Clouscard en fait partie. Le marxisme-léninisme maintient une analyse de classe. La société est fondée sur l’exploitation d’une classe par une autre. Partant, tout savoir constitué est un savoir de classe, répondant à des intérêts de classes. L’intérêt philosophique de la bourgeoisie actuelle est de maintenir une connaissance néo-kantienne de l’être. Elle permet en effet d’occulter la connaissance réelle, objective, scientifique de l’homme. Elle est la continuité dans la rationalité moderne, de l’idéalisme subjectif, de la métaphysique. Toute analyse qui ne part pas d’une étude historique de son apparition est une analyse subjectiviste. L’étude critique du surgissement d’une pensée doit s’effectuer dans un cadre historique. Et ce cadre est celui de la lutte de classes. De ce fait, le néokantisme, qui est la recherche a-historique de l’être, de la pensée s’exerçant sur la pensée, est une recherche réactionnaire. Le freudo-marxisme déplace légèrement la contradiction. Il veut que l’histoire de la lutte des classes soit l’histoire de la lutte des sexes. Déjà dénoncée par Lénine (cf. Textes sur l’émancipation des femmes, Editions Sociales), cette attitude est sectaire, petite-bourgeoise. Michel Clouscard ajoute un terme à cette critique marxiste-léniniste du néokantisme. Il veut faire la synthèse de Hegel et de Marx. C’est l’aboutissement de l’axe philosophique de “L’Être et le Code”. C’est l’axe scientifique.

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