POST-FACE POLÉMIQUE

Tout travail propédeutique demande, au moins durant sa réalisation, la plus grande neutralité de la part de l’auteur.

Quitte à jouer un jeu formel, il faut s’y tenir et n’en pas démordre. Une propédeutique n’est pas une critique ni une apologie.

C’est donc en post-face que nous nous permettons d’intervenir.

A bien considérer « L’Être et le Code » et la totalité de la pensée clouscardienne, nous avons sans cesse été gênés, sinon déroutés par ce que nous appellerons la contradiction majeure de l’ouvrage.

D’un côté Clouscard s’attaque avec un acharnement prodigieux à la reconstruction historique, matérialiste, marxiste-léniniste, du procès de production dans l’ensemble pré-capitaliste français.

De l’autre, Clouscard développe avec une constance non moins déterminée une phénoménologie de l’être, une restitution de l’hégélianisme dans le marxisme-léninisme. De son propre aveu, Clouscard est hégélien autant que Lénine le fut dans les Cahiers sur la Dialectique. C’est sur cette contradiction majeure que nous voulons revenir ici. Nous décomposerons notre analyse en quatre points.

Premier point :
la dualité du discours clouscardien

La première et une des plus grandes difficultés du texte réside dans le discours clouscardien. Le texte ne s’aborde pas facilement. Il faut au minimum une solide culture philosophique. Le discours clouscardien repose sur l’interprétation conceptuelle de disciplines diverses. Cette interpénétration a pour effet d’établir une confusion de fait entre la logique du procès de production et la phénoménologie de l’être.

La logique du concret et la phénoménologie de l’être s’auto-produisent et donc se surdéfinissent. C’est seulement l’ouvrage terminé, pour l’auteur comme pour le lecteur, que le discours clouscardien se révèle comme étant de fait dualiste. Le développement conceptuel n’a pas conduit l’auteur à une rationalité définitive. Le discours clouscardien fonde un confusionnisme. Il faut le lire et le comprendre pour le savoir.

Nous avons insisté, personnellement, sur le premier terme de la dualité du discours clouscardien, à savoir la logique du concret. Nous y avons perdu notre neutralité. A son propos, nous avons même revendiqué – et nous maintenons cette revendication – un marxisme-léninisme orthodoxe. L’étude du procès de production et de l’apparition des classes est scientifique. Mais nous voulons ici revenir sur le deuxième terme de la dualité du discours clouscardien, à savoir la phénoménologie de l’être. Rappelons que ce deuxième terme doit s’extraire du discours pour être étudié. Son contenu est donc diffusé tout au long du développement et non localisé.

Cloucard admet une contemporanéité logique entre Marx et Hegel. Il veut démontrer que le procès de production est logique et non phénoménologique.

Il veut concilier Marx et Hegel. Pour ce faire, il développe un marxo-hégélianisme à deux niveaux, ces deux niveaux précisément logique et phénoménologique. La logique du concret est – à nos yeux – le résultat le plus probant de ce marxo-hégélianisme. La phénoménologie de l’être en est le résultat le plus embarrassant.

Lorsque la logique du concret se constitue sur un acquis historique – que bien souvent Clouscard a dû constituer lui-même, c’est un de ses gros mérites – le fonctionnement scientifique est correct. Mais la phénoménologie de l’être fonctionne, elle, sur un acquis idéologique. C’est la fameuse théorie du renversement. A strictement parler, Clouscard suit Marx. L’idéologie allemande emploie ce terme de « renversement ». Mais Marx a – nous semble-t-il – essayé de tout au long de son œuvre, de maintenir son champ conceptuel dans le seul champ historique. Clouscard s’autorise une extension maximale, par la théorie du modèle d’ensemble historique. Nous pensons que le modèle historique tel qu’il est méthodologiquement constitué dans L’Être et le Code, est un des résultats scientifiques les plus déterminants. Nous tenons à le souligner, car nos réticences vont ailleurs. La rationalisation d’un champ historique que propose Clouscard est pour nous conceptuellement acceptable. C’est la confusion entre la logique du concret et la phénoménologie de l’être, qui en est la conséquence, que nous craignons. Un modèle d’ensemble historique permet l’étude d’un infrastructural, d’un superstructural et du système de médiation qui les met en relation. Nous dirons que c’est l’étude du superstructural qui nous inquiète. En somme, nous nous attaquons principalement ici au Livre III. Car le Livre II, l’étude du corps, se donne pour idéologique et nous n’avons rien à reprocher à cela. Le Livre III, lui, se donne pour le prolongement scientifique du Livre I. Ce Livre III est en somme la phénoménologie de l’être dépouillée de la logique du concret, constituée et achevée au livre I. Le Livre III ne peut être que par le Livre I. Mais peut-il être comme le Livre I, l’étude marxiste-léniniste de la lutte des classes, du procès de production ? Nous dirons que le Livre III se coupe du Livre I et II, accentue négativement la dualité du discours clouscardien, révèle une tendance métaphysique.

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