3 - Le corps et ses significations

C’est là le propos de tout le livre II. Vu l’importance du développement de ce concept dans l’ouvrage, nous réduirons considérablement ses implications.

Nous reviendrons seulement sur trois points. Tout d’abord, nous verrons comment tout discours sur le corps est idéologique. Puis nous reprendrons la justification épistémologique. Enfin, nous resituerons le corps dans son historicité.

I / Le discours sur le corps

Tout discours sur le corps est idéologique, production de l’idéologie. Il est le refuge, sinon le réceptacle de la nature, irréductible pour le savoir bourgeois. Le corps reste dans cette problématique l’ineffable substance inconnaissable, lieu de la liberté individuelle. En ce sens, on peut même dire qu’il est le prétexte, l’alibi de la dichotomie individu-société, nature-culturel, fondement du néo-kantisme.

Dans cette mesure, tout autre discours devra être une contre-idéologie, s’appuyant sur un appareil scientifique.

II / L’épistémologie du contre modèle

A ce modèle idéologique qui propose le corps comme partie intégrante de l’idéologie afin de masquer et d’interdire son approche objective, un contre modèle sera constitué.

Ce que déclame l’épistémologie bourgeoise, c’est l’inviolabilité de l’individualité corporelle. Ce que révélera le contre modèle, c’est la génétique du corps-sujet, sa soumission aux normes de la sociabilité.

Le corps est accession à l’existence. Il est substance, permanence biologique de l’être. Le corps est l’acte de l’être. Aussi, il est en proie au devenir, dès l’étymologie. Le corps signifie l’être tout au long de sa genèse. Le corps est historicité. L’accession à l’existence est l’accession de l’être à l’histoire par le corps. Le corps est production historique. Le devenir du corps est le destin du sujet niant progressivement la substance originelle. Le devenir du corps est la négation de la substance. Le devenir du corps est le devenir du sujet et de la production. Le corps est expression et production de l’être.

L’histoire du corps est l’histoire de l’émancipation du sujet, de son arrachement aux fixations ontologiques et de son accession aux conduites de maturité.

Mais l’histoire du corps est aussi l’histoire de la production du moyen de production. Au début de la logique de la production, le corps est force de travail. L’outil est son prolongement. L’histoire du corps-individu est aussi l’histoire du corps-social. Le corps-sujet est produit par le corps social, produit par la production. Il est son résultat. Il y a parallélisme entre l’histoire de l’ensemble pré-capitaliste et l’histoire du corps. La connexion est dialectique. Sans le corps social, le corps-sujet ne trouverait pas son champ d’activité, les conduites matérielles et culturelles de son devenir. Sans le corps-sujet, le corps ne trouverait pas l’étymologie de son devenir et la continuité de sa production.

Certes, le corps est substance, mais la « substance est corps en tant qu’étymologie de sa phénoménologie », prétexte de son progrès, moyen de cette fin. Aussi le corps sera-t-il le passage de la substance au sujet transcendantal par l’histoire dont il est, encore une fois, le résultat. La production est sa limite et le sujet transcendantal son actuelle réalité épistémologique. L’histoire du corps est aussi bien l’histoire du devenir de la force de production que l’histoire de l’acquisition culturelle des données « naturelles ».

Sa progressive introduction dans le corps social, dans les classes, passe par le progressif apprentissage de ses potentialités qui ne sont pas celles autorisées par le champ de production.

Le contre modèle, s’il est, vu l’état actuel des connaissances, encore un modèle idéologique, sera le modèle le moins idéologique possible, puisque contre idéologique.

III / Le corps dans la famille

La genèse du corps-sujet trouve sa localisation première dans la famille. Dans ce cadre, les formes a priori de la corporéité autorisent l’étude scientifique du corps car ses formes sont les déterminations de la sociabilité. Le contre modèle trouve sa justification opérationnelle. La fonction des formes a priori de la corporéité est double : véhiculer l’affectivité et implanter le corps-sujet dans le macro-social, dans le corps-social. Etudions le schéma de cette fonction.

Le corps est d’abord simple accession à l’existence, étymologie. Le rythme est sa première manifestation et le besoin sa première angoisse. Déjà, le corps est présent dès le premier stade du sujet. Il est corps-sujet. Il est l’expression et en même temps intégration de l’organique dans son espace immédiat. Par la motricité, l’affectivité et le geste il sera corps constitué, prise de relation avec le relationnel. Il aura une double liberté : la liberté de l’organico-affectif et la liberté de la fonction symbolique au plus bas degré. Possédant maintenant le continuum de la durée sociale – la temporalité – le corps-sujet se découplera en corps et sujet. Les conduites de maturité sont acquises. Le sujet est passé dans le politique. La famille a joué son rôle. Le corps est achevé, dépassé.

L’histoire du corps est donc l’histoire de l’intégration de l’organique étymologique dans le politique, le relationnel global. Cette histoire peut se dire et le corps n’est pas ineffable. L’épistémologie du contre modèle est possible.

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