22 - Théorie de l’émotion

La première manifestation du sujet est le cri. C’est sa première émotion, l’expression de son angoisse au monde, la venue de son être. Le cri est déjà protestation et revendication. Protestation face à la douleur étymologique et revendication d’un devenir, demande d’une solution, appel à la sociabilité. L’émotion se crée et se nie en même temps. Elle est paradoxale. Son actualisation provoque une autre émotion, l’émotion provoquée par ce paradoxe. L’émotion est passé, futur et présent. Elle définit le moi en premier lieu et restera présente tout au long de la genèse du sujet. Elle sera fixation à chaque stade du devenir du corps (organico-affectif, sensori-moteur, langage). L’émotion étymologique se répète à chaque moment du devenir car chaque moment du devenir marque chaque fois un peu plus l’apparition de la singularité, la structuration du traumatisme originel. L’émotion est scission d’avec la mère – destin du devenir – et impuissance au monde. Mais la genèse du sujet est l’acquisition des conduites de maturité, la progressive réduction de cette impuissance au monde.

Si l’émotion est fixation à chaque stade de la genèse, elle est aussi consécutive de la rencontre du sujet constitué avec le politique.

Le passage du sujet aux conduites de maturité, aux conduites politiques, actualise le savoir du corps. Le sujet, qui possède maintenant la maîtrise de son corps, doit s’intégrer dans le relationnel macro-social, dans la Cité. Ce passage du sujet au monde des adultes provoque un impact, exaspère la contradiction entre la sexualité constituée et la contrainte des conduites sociales. L’émotion est alors progressive déstructuration de l’acquis, négation du langage. C’est une réaction pour retourner à l’affectivité, une tentative de substituer le corps à la subjectivité, une tentative de remplacer le sujet par le corps dans les rapports intersubjectifs. C’est une fuite dans le passé et une actualisation réactionnaire dans le présent. Mais en même temps, l’émotion est un acte vers le politique, la reconnaissance de sa présence, le savoir de nécessité. Elle est projection en avant. Ainsi, l’émotion se fait continuum du monde utérin au monde politique. Mais la dynamique du sujet, les sollicitations politiques imposent le choix, la décision. Il faut dépasser cette émotion, cet impact qui arrête. Le langage aide à opérer cette catharsis.

Cette stratégie de récupération par le langage, par l’action, peut aussi s’opérer par l’esthétique. C’est la référence aux formes publiques qui sont elles-mêmes références au continuum utérin-politique. Cette stratégie de récupération peut aussi être refusée. C’est la névrose, auto-régulation du sujet qui maîtrise à ce point tous les moments dont il est constitutif, qu’il réussit à les bloquer, à s’en jouer.

La répétition – dans la dynamique, dans le devenir, inévitable – cette répétition de l’émotion, de la déstructuration puis de la récupération, conduit le sujet à l’accoutumance, à surmonter ses affects. Il va maintenant économiser ses impacts, c’est l’émotivation. L’émotivation est déjà la marque d’un contrôle, la maîtrise par le sujet de son corps et du politique. Le sujet est arrivé alors à conduire son corps dans le monde politique.

Cette théorie de l’émotion dit qu’il n’y a pas d’émotion pure sans causalité sociale. Elle radicalise ce qui passe pour être un privilège irréductible du pathos en un moment spécifique au deveinir du corps et du sujet.

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