16 - L’argent et le commerce

L’argent doit se définir à trois niveaux : économique, culturel et historique. Ces trois niveaux s’interpénètrent et renvoient l’un à l’autre.

Au niveau économique l’argent est un pouvoir du monde. Ceci va de soi. Au niveau superstructural, l’argent a fait naître une culture. Sa capitalisation, sa thésaurisation et son commerce ont impliqué une prise de conscience individuelle et globale, prise de conscience de classe. Cette prise de conscience a nécessité la mise en place d’une véritable culture sociologique et psychologique et même politique, culture des significations et des possibilités. Enfin, l’argent a une histoire qui explicite les deux autres niveaux de définition.

C’est par la monnaie que s’apprécie l’évolution économique. L’histoire de l’inflation, de la dévaluation pourrait être l’histoire de la progressive récupération des biens et avantages concédés par les classes dominantes aux classes dominées. L’histoire de l’argent montre comment la bourgeoisie a progressivement pris un ascendant sur la noblesse. En effet, le revenu de l’argent a progressivement remplacé et dévalué le revenu de la propriété foncière. L’Edit de la Paulette marque le moment historique de la collusion déterminant de la culture, de l’argent et de la bourgeoisie. Par l’achat des charges, grâce à l’argent accumulé, la bourgeoisie accèdera à la culture. Cette intellectualité maintenant possible à la nouvelle place rendra possible un dépassement des immédiates implications du profit. L’argent aura autorisé ce dépassement en autorisant la culture. L’histoire générale de la bourgeoisie montre tout au long de son processus de surgissement une soumission à l’argent. C’est l’arrivisme. Cette politique se retrouve au niveau du couple, de la famille, qui conditionne la genèse du sujet. C’est à ce niveau de l’acquisition des conduites sociales que la coupure de classe trouve sa plus effective réalité. La famille bourgeoise saura enseigner au sujet les conduites appropriées. La dynamique de l’argent est sociologiquement réservée à une classe qui en détient la sémantique, la syntaxe, la logique, en un mot, le capital.

La progressive commercialisation des biens immédiats, puis des produits de luxe dans un seul secteur de classe est étroitement liée à l’apparition du phénomène urbain et à l’avènement de la bourgeoisie.

Il faut attendre la mise en place des cellules originelles de production pour que le premier commerce apparaisse. En ce sens, le commerce permettra et consacrera l’éloignement progressif de la production. Partant, il donnera la possibilité à un certain nombre d’individus d’accéder à une praxis différente, qui tirera ses profits de la marchandise et marquera ainsi le début du règne de l’argent. Cette économie politique naissante sera la réunion pragmatique des forces de production, du capital et du commerce. Les croisades lanceront le grand commerce mondial, tout en sonnant les derniers moments du chevaleresque. C’est le saut quantitatif. Le commerce avec l’Orient, en permettant l’importation des épices et des tissus autorisera, lui, le saut qualitatif, une nouvelle hiérarchie des besoins. Le commerce, en effet, ne peut être dissocié de ce qui le permet au niveau superstructural : l’idéologie codificatrice, solution du problème de la consommation. C’est l’esthétisation, la valorisation des objets en fonction non de la production, mais en fonction de la distribution et du pouvoir d’achat.

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